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GEORGES DOUART

DU KOLKHOZE AU KIBBOUTZ

Sur les chantiers de l'amitié

avec trois cartes in-texte

Plon

 

L'illustration de la couverture représente l'auteur (au centre) participant au déblaiement d'un quartier de Kolobjeg (ville polonaise détruite en 1945). Sur cet emplacement sera édifié un sanatorium.

1961 by Librairie PIon, 8, rue Garancière, Paris-6e

 

Amis qui allez m'accompagner tout au long de ces pages, je ne veux ni vous 'noyauter, ni vous endormir avec de belles phrases théoriques. Je vous apporte un témoignage à mon échelle, sur les hommes que j'ai connus, leur façon de vivre, ce qu'ils pensent. Après avoir quitté l'usine, mon métier d'électricien, je suis parti à travers le monde travailler pour une société meilleure, découvrir ce que l'école primaire ne m'avait pas appris. J'ai été bobinier en Norvège, maçon au Pakistan, coolie aux Indes, bûcheron au japon, charpentier en Amérique. Après avoir écrit ce tour du monde d'un ouvrier : Opération «Amitié», j'ai pris la route tour les Pays socialistes. Les relations avec l'Est sont essentielles. A côté des réunions au sommet doivent s'établir des contacts personnels afin de nous connaître en dehors des clichés de la propagande.

 

C'est beau d'être socialiste, encore faut-il savoir ce que ça donne en pratique. Pour voir ce que l'homme communiste peut nous apporter, j'ai partagé sa vie quotidienne, travaillé dans les kolkhozes ukrainiens, les fermes d'État polonaises, les barrages bulgares, les kibboutzim israéliens. Les poches vides, j'ai circulé surtout en auto-stop, de la Baltique à la mer Rouge, les yeux, les oreilles ouverts ; à gauche, à droite, j'ai écouté tous les sons de cloche. Ce sera à vous de conclure,

A tous les amis croisés sur ma route. Vous m'avez appris le peu que je connais.

 

- I -

KOLKHOZE STALINE

voir les photos correspondantes (lien à établir)

 

«MYR-DROU-JBA !»
 
Ça y est on roule en Russie ! Derrière le Rideau de Fer ! Si on est excité ! On n'arrête pas de courir d'une vitre à l'autre. Ciel, paysage, cheminots, sentinelles, on dévore tout des yeux. Et pas d'ogre communiste, couteau entre les dents, pour viser nos passeports, mais un jeune officier de l'Armée Rouge, souriant, détendu. Aucune question indiscrète, douane monumentale, très vague coup d'œil dans nos sacs.
 
Quand on a débarqué à Belgorod, la place de la gare était noire de monde, hérissée de drapeaux, surmontée de banderoles à slogans, décorée de grands panneaux rouges où trônaient les inévitables portraits de Marx, Lénine, Staline, Khrouchtchev. Ils étaient là des milliers : bambins des maternelles, gosses des écoles, pionniers, komsomols, étudiants, ouvriers, fonctionnaires, ménagères qui applaudissaient et hurlaient en scandant Myr-Drou-Jba ! Myr-Drou-Jba ! Myr-Drou-Jba ! (paix-amitié).
 
Après les discours officiels, au son des flonflons des cuivres, on s'est engagé dans une mer humaine, on se sentait assailli par tous ces visages enthousiastes, on n'avait pas assez de mains pour accepter tous les insignes, souvenirs, petits cadeaux. On a fini par répéter ce qu'ils criaient tous : Myr Drou-Jba ! Ça les a déchaînés encore plus.
 
Puis, pendant 60 kilomètres en autobus, devant chaque maison, à chaque carrefour, dans chaque village, nous avons été salués par d'innombrables têtes souriantes, acclamés, noyés sous les vagues de bouquets tendus par les paysannes jeunes et vieilles. Elles en offraient tant que, dans le bus, on marchait sur 50 centimètres de fleurs des champs. Elles avaient dû razzier tout le coin. Celles qui ne pouvaient les passer, les jetaient sous les roues. On roulait sur un tapis parfumé. On aurait voulu les remercier tous, serrer chaque main, rendre regard pour regard, sourire pour sourire, mais ils étaient trop.
 
Précédés de chevaux attelés, escortés de camions, de cyclistes, de motards, on a fait une entrée triomphale dans le kolkhoze Staline, salués par son responsable, décoré de l'étoile rouge de l'ordre du travail socialiste, reçus selon la tradition avec le pain et le sel, par le plus vieux des kolkhoziens à longue barbe blanche.
 
Ouf ! On avait tous mal autour des lèvres pour avoir trop souri, trop crié nous aussi : Myr-Drou-Jba ! Cinq heures elle avait duré cette réception «organisée» où se mêlait aussi tant de gentillesse, de spontanéité. Dans ma tête trottaient des tas de clichés contradictoires Stalingrad et Budapest, les purges et le spoutnik. J'essayais de faire cadrer tout ça avec la réalité.
 
Logés dans une des écoles fraîchement repeintes du kolkhoze, on était là 65 jeunes, de l'Est et de l'Ouest, d'Orient et d'Occident, 65 venus de Russie et d'Amérique, de Hongrie et de Chine, d'Afrique et des Indes, d'opinions et de religions les plus diverses : chrétiens et communistes, hindous et athées, socialistes et partisans de la libre entreprise. Nous venions faire les foins avec les paysans, construire une maison des jeunes dans ce kolkhoze de l'Ukraine, mais surtout, à travers ce travail, cette vie en commun, créer une ambiance amicale permettant l'échange des idées, pour mieux se connaître, mieux se comprendre, aider ainsi à bâtir la Paix. Organisé par la Fédération Mondiale de la jeunesse Démocratique, F.M.J.D., le Service Civil et les Soviétiques, ce premier camp Est-Ouest en Russie était mené par Slava, vice-président des Mouvements de jeunesse de l'U.R.S.S. groupant 30 millions d'adhérents. C'est dire l'importance qu'ils y attachaient !
 
Rappelons que le Service Civil International, le S.C.I., groupe des hommes et des femmes de toutes races, nationalités, conditions qui apportent pendant leurs vacances l'aide bénévole de leurs bras à une communauté dans le besoin. En plus de ses camps Est-Ouest, et de ses chantiers en Europe, au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique. Le S.C.I. désire qu'au service militaire soit adjoint, pour ceux qui le préfèrent, un Service Civil de casques bleus, sans armes, véritable armée internationale de la Paix, travaillant en permanence au relèvement économique des pays sous-développés et au mieux-être de tous.
 
LE COUP DU TÉLÉGRAMME
 
Padiom ! Debout I Get up ! Qu'est-ce qu'il leur arrive, aux copains russes ? Comme un seul homme, ils bondissent tous hors des draps et trois minutes après, leur lit fait, ils partent en petites foulées pour un quart d'heure de gymnastique, autour d'un accordéon ; mouvements sensiblement les mêmes que chez nous. J'avoue humblement que nous, de l'Ouest, avions un démarrage beaucoup moins rapide. Jusqu'à la fin du camp, les Soviétiques, malgré la fatigue, sont restés fidèles à leur quart d'heure, accompagnés seulement des quatre plus coriaces Occidentaux.
 
Question travail, heureusement les Russes abandonnent vite leur proposition de normes, de compétitions, entre des équipes de l'Est et de l'Ouest. Alors, tous ensemble dans cette terre ukrainienne aussi dure qu'ailleurs, on s'attaque avec enthousiasme aux terrassements de la maison destinée aux jeunes kolkhoziens. Un ingénieur russe et un Français technicien du bâtiment dirigent les opérations.
 
Pas besoin de discussions pour creuser des tranchées, remplir les fondations, grimper les murs. Quatre amis hongrois et allemands maçonnent comme de vrais stakhanovistes. Dans la bétonnière jamais rassasiée, s'engouffrent pelletées de sable sur pelletées de ciment et le béton se déverse dans des caisses à poignées que les gars grimpent en courant sur les échafaudages. Sur un tapis roulant, les briques montent au premier étage, d'où plusieurs chaînes d'hommes les acheminent aux pieds des maçons-rois. Des équipes partent à la carrière extraire et charger les camions de sable. D'autres, envoyés à la briqueterie du kolkhoze, rapportent des fournées de briques encore chaudes. Il n'y a plus de nationalités, d'appartenance à des blocs, il y a seulement des shorts poussiéreux, des prénoms, des gars en sueur. On retrouve, attelés au même brancard : Tchèque et Norvégien, Français et Russe, Chinois et Bulgare. C'est avec le même plaisir qu'après la brûlante journée, on se précipite tous la tête la première dans la rivière.
 
Dès notre arrivée, le camarade-commandant nous a tendu un programme où tout était prévu, minuté depuis A jusqu'à Z. Comme étude des réalisations, conquêtes et développements de l'U.R.S.S., c'était idéal. Mais ce que nous avons obtenu, c'est qu'il y ait échange réciproque d'informations sur nos pays d'origine. Alors tous les soirs, après le dîner de ragoûts en sauce et de soupes grasses, nous discutions ferme, groupés autour de nos interprètes. Nous posions malgré tout nos questions avec tact et prudence, ne souhaitant pas mettre le feu aux poudres, réservant les questions délicates pour les bavardages «entre quatre z'yeux». La soirée sur la Hongrie fut mouvementée, mais le plus beau, ce fut le coup du télégramme.
 
Nous étions là-bas au moment du débarquement des commandos américains au Liban. Grosse émotion. A longueur de journée, les haut-parleurs disséminés partout dans le kolkhoze diffusaient des communiqués répétés dans les journaux, soulignant l'extrême gravité de la situation, la volonté de paix des peuples soviétiques face aux continuelles provocations des impérialistes occidentaux.
 
Gravement, un soir, Slava dépeint en très noir la situation : les Américains inconscients nous mènent tout droit à la catastrophe ; la guerre mondiale est peut-être pour demain. Nous, jeunes épris de Paix, devons tout faire pour que notre voix angoissée soit entendue : envoyons un télégramme aux Nations Unies. Sans un murmure, les 25 Russes sont d'accord. Les 20 F.M.J.D., plus royalistes que le roi, proposent en plus l'envoi de protestations aux gouvernements anglais et américain. Il reste notre groupe de 20 S.C.I. dont une moitié considère que, même sans trop croire à l'efficacité d'un télégramme, tout doit être tenté pour éviter le pire. Les autres, sceptiques, refusent de se laisser embarquer.
 
Alors, pendant trois jours, au milieu d'un déluge de communiqués sur l'aggravation de la situation, on a partout discuté du télégramme. Que de points de vue, d'arguments pouvait-on invoquer pour donner ou non sa signature. Nos placides Anglais demandaient leur presse. «Nous nous formerons notre opinion et peut-être signerons-nous.» -Mais voici la Pravda qui ne dit que la vérité, ripostaient les Russes, nous sommes prêts à vous en traduire n'importe quel article. - Nous regrettons, ça ne nous suffit pas.
 
Un jeune Allemand peu favorable aux Rouges était catégorique :
-C'est une manœuvre pour nous utiliser, refusons en bloc.
 
Entrepris sans répit par une meute de komsomols gonflés à bloc, le noir Américain tenait farouchement tête.
-No ! Je ne signerai pas ! Cette histoire est indigne de l'hospitalité russe. Si au moment des événements de Budapest, vous, jeunes Soviétiques, aviez été invités dans mon pays et si je vous avais proposé de condamner l'intervention de l'Armée Rouge contre les ouvriers hongrois, qu'auriez-vous répondu ? Alors, je fais comme vous, je refuse d'attaquer mon gouvernement.
 
Finalement, un télégramme a été rédigé, blâmant l'intervention de toute force étrangère dans les affaires intérieures d'un autre État et proposant un règlement du conflit par l'O.N.U. Ainsi l'on a vu, en Russie, 59 seulement des 68 participants, signer sous les éclairs de magnésium. Malheureusement repris par une certaine propagande, par d'adroites coupures, notre télégramme très nuancé s'est transformé en unanime protestation anti-américaine.
 
LA MESSE AU SOVKHOZE
 
Dimanche ! Pour les chrétiens et ceux qu'intéresse une église russe, la messe est de rigueur. Nos amis soviétiques ne sont pas chauds du tout pour nous y conduire.
-C'est compliqué, il faut partir de très bonne heure, aller à 60 kilomètres. Attendez, on verra...
 
Par hasard, un vieux kolkhozien nous révèle l'existence d'un pope et d'une chapelle dans un sovkhoze voisin. On s'habille dare-dare sous les regards ébahis des komsomols à qui nous préférons ne pas cacher cette incartade au programme officiel.
-Visiter une église à 10 kilomètres, c'est de la folie douce !
 
Ça fonctionne là-bas, le téléphone sans-fil, à peine sommes nous dehors que le correspondant de la Pravda est déjà sur nos talons. Mais comme, réflexion faite, une messe en notre compagnie ne vaut tout de même pas son petit déjeuner, il nous rejoindra. Oui, bonhomme, sois tranquille, on marchera doucement. On s'esquive en vitesse. L'auto-stop, c'est pas un moyen de transport inventé pour les chiens. Pourquoi ne pas l'essayer ? Ça marche, les kolkhoziens nous regardent tous curieusement passer. Toute la région va bientôt savoir que nous allons à la messe.
 
Le camion nous dépose près d'un camp de pionniers. L'église en bois, est à côté, petite, jonchée de foin, murs intérieurs en bleu ciel étoilé, presque tapissée d'icônes dorées, entourées de dentelles, de fleurs et de branchages. Pas de siège, maigre assistance d'une vingtaine de paysannes priant sous leur foulard, de vieux à barbe et tête grises. Très beaux chants et belles voix de basses, regards de mystiques. Que de génuflexions, de plongeons à plat ventre, d'embrassades du plancher avec des signes de croix à l'envers et de nombreux Gospodi Pamilouil (Dieu, sauvez nos âmes). Le vieux pope barbu, auréolé de ses longs cheveux frisés, drapé dans sa cape dorée, officie dignement, flottant parmi les fumées d'encens qui montent vers le ciel.
 
Après la messe, on bavarde : pas assez de séminaires, très peu de prêtres ; depuis quinze ans il parcourt ces campagnes, baptisant les enfants mais sans possibilité de leur enseigner la religion. Ce sont les grands-mères qui essaient de leur apprendre leurs prières et le peu qu'elles savent. Devant ce vieil homme voûté, résigné, usé par une tâche trop lourde, gagnant son pain comme menuisier, au milieu de ses fidèles, faibles et dépassés, quel contraste avec le bouillant dynamisme de cette jeunesse sans Dieu, ces délurés et turbulents pionniers du camp voisin qui envahissent l'église comme un moulin et qui n'enlèvent leur casquette que lorsque le sacristain leur fait signe ! Ils nous entourent jusqu'à ce que leur chef vienne les chasser. Dans d'autres églises visitées à Moscou et ailleurs la religion semble un vestige des temps anciens, une superstition de grand-mère. Deux générations ont apparemment suffi pour arracher la foi du cour et de la vie des hommes.
 
A la porte, on accroche, par souci d'équilibre, le chef des pionniers qui se trouvait là... par hasard. Il est très choqué qu'Albert compare sa dictature du prolétariat à celle de de Gaulle : «Vous êtes menés à coups de trique, dit-il. Si vous êtes contre votre régime, une seule position réaliste, lutter dans les rangs du Parti communiste. Sinon vous restez des idéalistes rêveurs, figés dans des positions de principe et sans influence sur les événements.»
 
Les paysans non plus n'ont pas voulu nous laisser repartir sans nous inviter dans une isba : barrière, cour, porte étroite, grenier sous le toit de chaume, deux petites pièces basses, propres et blanchies, sol en terre battue, gros poêle de faïence, électricité, petite radio, machine à coudre, des meubles rustiques et l'icône trônant en bon voisinage avec Lénine. Plus de cent curieux ont envahi les abords de la maison... bavardage sympathique mais prudent. Après de nostalgiques chansons ukrainiennes, un bon repas à la vodka et au vin du Caucase, les poches bourrées de petits cadeaux, on s'installe dans un nouveau camion, parmi un groupe de fermiers.
 
Arrêt pour un jeune soldat de l'Armée Rouge, tenue de toile kaki, ceinturon, bottes, au calot la faucille et le marteau sur le fond d'une très large étoile. Nouveau stop pour un marin et sa fiancée. Tiens, le camion s'arrête encore une fois pour ramasser le pope, son bâton, sa besace et son sacristain. Ils n'ont pourtant pas fait signe. Le soldat les aide à monter, tout le monde se serre sur les sacs.
 
Le lendemain matin, pas encore réveillé, j'entends une voix. Bon sang ! C'est moi qui parle de paix, d'amitié, de coexistence ? Ça ne va pas ! Je me frotte énergiquement la figure. Avons-nous bu de la vodka hier ? Enfin, je comprends, c'est mon laïus à la gare d'arrivée de Belgorod que les haut-parleurs nous servent bruyamment à 6 heures du matin, quand le réveil est à 7. Même la tête sous le traversin, je n'échappais pas à ma voix. Jusque dans les rares instants de détente, à l'ombre dans le jardin, ces machines infernales installées partout braillaient plus fort que nous. C'est un des rares points sur lesquels les Russes n'ont pas tenu compte de nos suggestions. Ils ne comprenaient pas notre besoin de silence.
 
Et quelle publicité à notre propos Les journaux, le cinéma, la télévision, un livre, des milliers de photos... Nous avons eu jusqu'à l'honneur des colonnes de la Pravda et des communiqués de l'Agence Tass. Je sais que les journalistes de tous les pays agissent ainsi à des degrés divers. Mais nous n'apprécions guère de voir nos déclarations déformées par la presse. D'un exposé sur la France par exemple, ils reprenaient surtout les points négatifs, les exagérant pour les faire cadrer avec ce qu'écrit d'habitude leur propagande.
 
DES BRIQUES CASSÉES A LA HACHE
 
Les murs montés, nous passons aux poutres et à la charpente ; je fais équipe avec un des menuisiers du kolkhoze. Casquette sombre rabattue sur les yeux, grosses mains de prolo habituées à manier des choses dures. Au début, bourru ou intimidé, il se contente de m'indiquer par gestes ce que je dois faire. Comme je connais le boulot, je devine ses intentions et devance ses gestes. Il m'adopte alors comme compagnon et, sans paroles, on arrive à travailler en parfaite coopération. Dégelé, il m'offre de ses longues cigarettes aux deux-tiers en carton. Crayon sur l'oreille, on prend les mesures qu'il marque dans la paume de sa main. Et chacun de scier, percer, mortaiser. Enfin tous deux, la bouche pleine de pointes, on cloue en cadence les planches du plafond.
 
Seulement, c'est extraordinaire le manque de petit outillage ; à côté des tracteurs, camions, et machines modernes dont dispose le kolkhoze, les tranchées sont creusées à la bêche, nous n'avons pas de brouettes, nous transportons tout dans des caisses à poignées, tous les manches d'outils sont façonnés à la main. Les troncs, futures poutres sont écorcés avec des pelles affûtées à la meule. Les plafonds de bois cloués avec des pointes de 8 centimètres et de ridicules petits marteaux bons presque pour des horlogers. Pour casser les morceaux de briques récupérés pour les sols en ciment, nous n'avons que le talon de trois haches que nous disputent les charpentiers qui veulent équarrir leurs poutres. La plus petite scie est un passe-partout d'un mètre de long., et pas de tenailles ni de pinces. Maçons, menuisiers n'ont guère plus d'outillage que nous.
 
On ne doit pas évidemment généraliser d'après ce seul exemple. J'imagine malgré tout que les Soviétiques ne nous ont pas envoyés dans le kolkhoze le plus pauvre. A côté de l'extraordinaire réussite des spoutniks, il y a sûrement un retard appréciable dans certains secteurs non-prioritaires.
 
Un beau jour on nous propose de jouer au touriste et de visiter notre kolkhoze. Dans la grande salle des fêtes, laïus d'introduction du tovaritch président, Ivan Romanovitch.
- Avec les terres des koulaks, nous avons constitué en 1930 de petits kolkhozes, puis nous les avons groupés. Pendant la guerre de très durs combats ont été livrés dans cette région. Tout ce que nous avions mis debout a été détruit : maisons, bâtiments, machines, troupeaux. A la démobilisation avec les survivants nous sommes repartis à zéro. Actuellement, kolkhoze moyen, nous disposons de 8 000 hectares, dont 5 000 cultivés : 3 000 en blé, 900 en betteraves sucrières traitées dans notre usine ; plus 1 500 jardins individuels d'un demi-hectare, des prés, des vergers. Nous élevons aussi I 700 vaches (rendement annuel moyen 3 300 litres de lait), 2 000 cochons, 2 500 moutons, 30 000 volailles. Nous utilisons 28 tracteurs, 35 camions et de nombreuses machines agricoles modernes.
 
-Nos 1 500 ouvriers, y compris les techniciens, travaillent au rendement suivant des normes établies par le kolkhoze. Par exemple les chauffeurs sont au kilomètre et à la tonne transportée. Ils sont payés partiellement en nature, d'après les bénéfices à partager. Nos kolkhoziens sont propriétaires de leur maison et de leur jardin. Ils possèdent en plus 1 500 bicyclettes, 100 motos, 12 voitures. Nous pensionnons nos 120 vieux, payons les études supérieures de nos meilleurs enfants. La plus grande isba du temps des tzars correspond à la plus petite de nos jours. La classe se faisait chez l'instituteur, aujourd'hui, dans nos 11 villages disséminés sur nos terres, nous avons deux crèches, cinq écoles primaires, quatre secondaires, une professionnelle, des cours du soir d'électricité, de morse, etc. Il n'y a plus d'illettrés, notre bibliothèque compte 15 000 livres sur l'agriculture, la politique, la littérature russe ou étrangère : Balzac, Zola, Hugo, Aragon.
 
Il termine, martelant ses mots : «Nous étions autrefois serfs attachés à cette terre, notre patrie était exploitée par des capitalistes étrangers. Nous sommes aujourd'hui libres. En marche vers le communisme, nous avons lancé les spoutniks, l'Armée Rouge est là pour nous défendre. Nous n'attaquerons jamais personne. Myr-Droujba !»
 
Toute la salle l'acclame et lui-même s'applaudit vigoureusement. J'aurais aimé pouvoir deviner les idées qui trottaient sous le foulard blanc des vieilles kolkhoziennes, nu-pieds, sagement assises, bras croisés, leurs pauvres mains ratatinées par tant de rudes travaux. Que pensaient-elles de ce bilan de victoire ?
 
Notre maison de la Culture terminée, nous travaillons aux champs avec les paysans. Chaque matin, les camions vibrant d'enthousiastes chansons russes, allemandes, polonaises, françaises, emportent leur cargaison de gars et filles en bleus, riant, tanguant, s'accrochant les uns aux autres.
 
On sort du camp veillé nuit et jour par de vénérables gardes barbus pour que le commun des mortels ne nous dérange pas. On prend la grand-route cahoteuse, poussiéreuse, qui vient de Belgorod et dessert le kolkhoze. Elle est large, en terre, bordée de pittoresques isbas en murs de torchis et à jolis toits de chaume, chacune entourée d'un jardin clos par une barrière. Les vieux, assis, réchauffent leurs os au soleil, saluent les passants, surveillent les gosses les petits gars en pantalons, tête rasée, les fillettes, chaussées ou pas, mais déjà le foulard sur la tête.
 
Tous les 100 mètres, des haut-parleurs, des panneaux avec statistiques, graphiques et mots d'ordre rappellent aux kolkhoziens : produisez, encore, toujours plus. C'est visible que le coin a été retapé pour nous, les extérieurs d'isbas, les barrières, jusqu'aux poteaux téléphoniques ont eu droit au rhabillage en blanc. Tout l'équipement du stade est flambant neuf, la peinture de la salle des fêtes sèche encore.
 
On passe devant le cimetière peu entretenu, le magasin pauvrement assorti, le club avec cinéma, bibliothèque, coiffeur, cours du soir. Puis nous parvenons à la place centrale. Ceux qui ont tracé l'implantation des longs bâtiments de brique, couverts de tôles ondulées, ont prévu très grand. Si les étables, porcheries, écuries sont bien entretenues, l'immense cour est en désordre. De gros troncs d'arbres en encombrent une bonne partie. Comment ranger d'après une norme ? Les waters sont plus qu'élémentaires, sans cloisons ni plomberie. De simples trous derrière une palissade. Un bonhomme répare des remorques, il s'agit plus d'un bricolage d'amateur que d'un travail de professionnel. Dans la menuiserie rudimentaire, encombrée de copeaux, un tour, une scie électrique, une meule. Plus loin des femmes nu-pieds, sans aide masculine, coulent un plancher en ciment. Des camions immatriculés sur les côtés en caractères russes de 50 centimètres, emportent fourrage, bidons et paysannes pour aller traire les vaches dans les prés. Sur de vieux vélos, des motos de petites cylindrées, à pied, des hommes circulent, s'arrêtent, bavardent. Ils travaillent, oui ; mais ça ne donne pas l'impression d'une ruche bourdonnant d'activité. Et tout autour sont les champs, l'immense plaine d'Ukraine monotone, à peine boisée.
 
Au bord des grands prés nous montons des meules de foin, aidés d'équipes de solides paysans, visages carrés bien équilibrés, vêtements reprisés, tous en casquette sauf les chefs en chapeau de paille. De loin, sans âge, des brigades de robustes kolkhoziennes sont là aussi : fortes des hanches, leur robe sombre à grosses fleurs flotte sur le corps, juste serrée à la taille. Des figures rieuses, aux yeux clairs, aux cheveux châtains, sous les foulards blancs noués à la russe. Au boulot, elles sont increvables, de vrais tanks.
 
Au début, ils nous fauchaient nos outils, nous conseillant «Allez-vous reposer.» Puis, ils voulaient toujours bavarder. On leur a expliqué qu'on aimait bien tailler des bavettes, mais que nous voulions d'abord travailler comme eux. Les meulons arrivent tirés à la chaîne par des bœufs ou des tracteurs. Grimpés sur la meule par des élévateurs, il nous reste à répartir le foin et faire les bords. Les fourches ne chôment guère, la poussière, les brins d'herbe nous aveuglent. Le soleil transforme vite certaines peaux couleur d'aspirine en rouge brique, puis en lambeaux que l'on décolle par plaques.
 
Kim, le colosse komsomol qui vient de défricher les terres vierges de Sibérie, travaille en première ligne, face à Bob, l'athlétique noir américain. C'est une pacifique, mais farouche compétition : U.R.S.S. -U.S.A. à qui passera les plus grosses fourchées, manches courbés, tous muscles tendus, ruisselants de sueur. De temps en temps, ils s'accrochent dans des discussions passionnées où il faut cinq traductions simultanées pour que tous suivent le duel serré des arguments. La barrique d'eau souvent visitée provoque, elle aussi, de longs débats. En longues lignes, nos filles et celles de la ferme, armées de larges râteaux, récupèrent le foin laissé par les tracteurs ; belle occasion pour les kolkhoziennes de demander
-Êtes-vous mariée ? Combien avez-vous d'enfants ? Comment vit-on chez vous ? Comment sont les maris ? Moi, j'ai une petite fille, la plus jolie, la plus mignonne au monde.
 
DES VOIX D'ANGES SUR LE KOLKHOZE
 
Ce soir, discussion sur les komsomols, les jeunes communistes russes. Nos 25 Soviétiques, étudiants, ouvriers, techniciens choisis parmi les meilleurs de leur usine ou université, en sont tous membres, quatre comme permanents et cinq ont même la carte du Parti.
 
Les 18 millions de komsomols possèdent partout des cercles, à l'usine, la mine, le kolkhoze, l'armée, l'université. Mais n'est pas komsomol qui veut, il faut justifier cet honneur, donner constamment l'exemple. Par une lutte énergique, permanente, il doit mobiliser toutes les forces pour aider le Parti dans l'édification de la société communiste. Il doit faire l'éducation politique de la masse des jeunes, veiller à l'amélioration de leur niveau technique, culturel, sportif et récréatif. Dans leur milieu professionnel les komsomols sont à l'avant-garde de l'émulation socialiste, ils se fixent des objectifs : augmentation de la production de charbon, d'acier, de lait.
 
Déjà 300 000 komsomols sont partis volontaires en Sibérie et Kazakhstan pour défricher, pendant l'été, 36 millions d'hectares de terres vierges, lancer à travers la Taïga la voie ferrée Stalinsk-Abakan, construire la ligne à haute tension Irkoutzk-Bratsk, creuser les mines du Kouzbass et de Karaganda. Parmi les komsomols la discipline est rigoureuse, la minorité est soumise à la majorité. C'est le principe du centralisme démocratique ; chacun a le droit d'élire et d'être élu, de critiquer et d'être critiqué, l'autocritique étant pour eux une supériorité essentielle sur le monde capitaliste.
 
Ils ont déclaré ignorer le nombre de permanents payés par l'organisation. On suppose qu'ils sont 70 000 contrôlant cours politiques, maisons de jeunes, bibliothèques, groupes sportifs. La suite normale, l'honneur suprême, c'est d'être jugé digne de recevoir la carte de membre du parti communiste de l'U.R.S.S. Le komsomol doit être prêt à sacrifier sa vie pour le devoir sacré qu'est la défense de la patrie soviétique.
 
Notre vie intensive ne s'arrête pas après les deux heures quotidiennes de discussions. Vers 22 heures, en chantant, bras dessus, bras dessous, on démarre vers la salle des fêtes voir des classiques du cinéma russe. Route peu éclairée, sauf aux abords du Club, extérieurement et intérieurement décoré des inévitables portraits des grands chefs. Quel exercice mental pour les copains interprètes traduisant les films mot à mot !
 
Ceux préférant les contacts, n'ont qu'à sortir sur la place. Tous les soirs d'été, s'y rassemblent plusieurs centaines de paysans. Au son de l'accordéon les jeunes chantent et dansent : marches, tangos, rumbas. Deux soldats guinchent gentiment, tandis que deux filles tangotent entre elles. Ils ne sont pas très gracieux dans ces danses modernes ; il faut plutôt les voir, tout réjouis, sautiller les pas ukrainiens. Les gars en larges casquettes, chemises et pantalons à pieds d'éléphant sont plutôt mieux que les cavalières, solidement charpentées dans leur terne robe à fleurs, la taille serrée d'une large ceinture noire, pas maquillées, cheveux courts, peu de nattes et pas froid aux yeux.
 
L'une m'offre des petites pommes acides et me poursuit de ses sourires et doux regards : dix-neuf ans, travailleuse de choc, décorée de l'ordre du travail, pour avoir doublé le rendement en lait de ses vaches Comme nos laborieuses conversations se déroulaient en russe et au dictionnaire je n'ai pas très bien pigé comment elle s'y était prise.
 
Les plus âgés font cercle autour, papotant, commentant. Si l'on ne danse pas, on est immédiatement entouré de vingt visages souriants vous bombardant de questions notre standard de vie les intéresse beaucoup ; l'infériorité du système capitaliste, la montée du fascisme en France, la guerre d'Algérie. Ils m'entreprennent aussi sur ma barbe «Il n'y a pas de rasoirs en France ?» Et l'argument suprême : «C'est un manque de Culture ! »
 
Bien sûr, en groupes, ils défendent la position officielle, mais, moins passionnés que nos activistes du camp, ils forment le vrai peuple russe. Plus que tout autre, il veut la Paix. Ils ont trop souffert de la dernière guerre. Combien nous ont dit «Les Nazis ont tué mon père, mon fils, mon frère. Nous avons perdu 17 millions d'hommes, 8 % de notre population, avec la Russie d'Europe saccagée. Alors pourquoi vous, Occidentaux, nous provoquez-vous constamment ?»
 
Seulement ce pacifisme évident s'accompagne d'un profond patriotisme, d'une volonté farouche de résister à tout envahisseur. Dans notre monde chargé de tension, de conflits latents, rempli d'armées sur le pied de guerre, menacé de milliers de bombes atomiques, une étincelle peut suffire à embraser le tout. Comment le paysan soviétique pourrait-il déterminer l'attaquant de l'attaqué, leur propagande présentant les faits comme une perfide attaque des impérialistes, éternels fauteurs de guerre ? En quelques jours, le peuple russe serait mentalement mobilisé, prêt, avec désespoir mais courage, à se battre et à mourir dans ce qu'il croirait être une nouvelle guerre défensive, espérant, malgré les bombes H, que son pays et sa cause finiraient par gagner, la justice étant de son côté.
 
Rentrant au camp sous le ciel tout étoilé, on entend comme des voix d'anges voler dans la nuit. Elles vont, viennent, nous frôlent, nous dépassent, s'éloignent. Ce sont des camions bourrés de jeunes kolkhoziennes regagnant leur village. Elles chantent merveilleusement en chœur les vieux chants ukrainiens, toutes leurs voix, légères, aiguës, riantes, fondues en une seule. Longtemps après leur passage, des lambeaux de chansons continuent encore à traîner sur la campagne.
 
UN HOMME HEUREUX
 
Deux modernes autobus nous emmènent visiter l'usine voisine d'acides à Chébikino. Exposé technique long et ennuyeux que suivent seuls les copains interprètes. On se réveille pour les questions. Malheureusement à chacune de nos demandes, laborieusement expliquée, traduite, discutée entre Russes, il nous revient dix minutes après une réponse à côté du sujet.
 
Dans la visite, ce ne sont pas les tuyaux où, paraît-il, coule de la paraffine qui nous intéressent, mais les hommes travaillant au milieu des machines. Or, ils sont sortis. Certaines questions embarrassent bougrement notre jeune guide : la cantine ? Non, nous ne pouvons la visiter. Le nombre d'ouvriers ? Il ne peut pas nous le dire. Et c'est défendu de prendre des photos. Enfin on pousse devant nous l'oiseau rare un ouvrier ! On l'entreprend à cinq. Le pauvre, ruisselant de sueur, entouré des officiels, fait peine à voir sous notre mitraillage «Oui..., il est très satisfait, il ne désire rien, pas même une voiture, sa bicyclette lui suffit. Peut-être offrir une fourrure à sa femme ?»
 
Je l'admire, c'est un philosophe, mais ce n'est pas humain, l'homme n'étant, malheureusement et heureusement, jamais content de son sort. Malgré tout, nous apprenons des choses intéressantes : ceux qui suivent des cours ne travaillent que de jour. Des crèches reçoivent les enfants des mères travaillant de nuit. Ils ont de grandes salles de repos bien aménagées, avec un peu trop de portraits, de nappes et tentures rouges pour notre goût. Des malades légers viennent à l'usine dans la journée et réintègrent le soir leur hôpital.
 
Le grand palais de la Culture bâti par l'usine est très imposant pour' une cité de 30 000 habitants : colonnes de marbre, escalier monumental Une foule énorme nous y attend avec banderoles, fanfare, bouquets, etc... On s'habitue aux slogans, étoiles rouges, faucilles et marteaux, portraits des grands chefs ; les réceptions deviennent presque une routine. Sauf pour nos deux exubérants copains chinois formés à bonne école. Ils font ça très consciencieusement Sourire perpétuel aux lèvres, ils serrent des centaines de mains, échangent des insignes, embrassent les gosses (un truc infaillible pour avoir les parents). Et ils lèvent les poings, crient :
-Vive l'amitié russo-chinoise ! Vive Khrouchtchev ! Vive Mao !
 
On les voit sur toutes les photos. Les Noirs presque gênés ont le plus de succès, puis viennent les fiers et sensibles Hindous, après nous, les barbus, enfin le commun des étrangers.
 
Invités par le gratin de la ville et par les komsomols du coin, nous assistons à un programme de variétés présenté par les ouvriers de l'usine d'acides. Airs d'opéras, musiciens, athlètes, rondes ukrainiennes. La chorale et les pas de danse des plus de soixante ans sont épatants. Dans les Feuilles Mortes et un Gamin de Paris, les très populaires succès d'Yves Montand, chantés en russe, ils doivent accélérer le débit pour glisser toutes les paroles. Quant aux ballets, c'est du tonnerre ; des hommes, des vrais, dansent sur le thème d'une histoire de corsaires.
 
La fête terminée, nous, les Français, pas satisfaits de claquer des mains, nous envahissons la scène et nous leur improvisons un programme. L'élan est donné, Anglais, Allemands, Indiens, tous y vont du leur. Ça finit en apothéose, sur d'éclatants chants russes, lancés à faire trembler les vitres. Toute la salle en délire forme une chaîne, on se tient par les épaules, visages épanouis, se regardant fixement avec plus que de l'amitié.
 
Dimanche après-midi
Par de petites routes en terre, au milieu d'épais nuages de poussière, camions et autobus se dirigent en convois vers le grand pré où des milliers de gens de Belgorod et des kolkhozes voisins nous offrent la kermesse de l'amitié.
 
Vite identifiés dans la foule, nous subissons un véritable assaut de gentillesse. Les Occidentaux parlant russe font de longues conférences de presse devant des douzaines d'auditeurs très attentifs. Sans arrêt des jeunes très décontractés nous épinglent de nouveaux insignes. On arbore tous des panoplies de Lénine, d'étoiles rouges, faucilles et marteaux, initiales de sociétés sportives, agricoles, étudiantes. Sans rougir des filles nous abordent et simplement nous demandent des autographes.
 
Celles de la ville sont plus minces et plus fines que nos kolkhoziennes : fleurs des robes plus discrètes, décolletés avantageux, souliers à talons, cheveux frisés, bagues, montres, colliers, Pour les gars, tête nue, ni veste, ni cravate, manches de chemise relevées, pantalon toujours très large du bas. Ils prennent beaucoup de photos.
 
Ils se disputent nos modestes personnes ! Je change souvent de mains. Enlevé par des gars me parlant technique de spoutnik et d'aviation. Brrr I... Je suis heureusement libéré par un groupe de travailleuses de choc qui m'encadrent solidement Elles feintent les concurrents et discutent en marchant. Dès qu'une bande rivale est signalée, elles embrayent la grande vitesse. Mais mon compte est bon. Arraché à mes belles, je tombe aux mains d'un commando d'ouvriers de Belgorod qui m'expédie à marches forcées et sous bonne escorte vers un petit bois où ils ont déjà enlevé et camouflé plusieurs des nôtres. Tout ça pour nous offrir un pique-nique à la russe : poulets, caviar et l'inévitable vodka. Dès qu'ils deviennent plutôt gais, choisissant la liberté, je leur file entre les doigts, j'évite de justesse une chasse à l'étranger lancée par les komsomols de Chébikino, suis raflé par des fillettes pour des rondes ukrainiennes et tombe finalement dans les bras d'une solide kolkhozienne qui ne desserre plus son étreinte et m'entraîne valser sur l'herbe au son des accordéons, sous les regards attendris de l'assistance et l'œil indiscret des photographes.
 
Nous sommes rentrés épuisés par six heures d'amitié russe. A part le feu d'artifice, nous n'avons même pas aperçu le programme.
 
LA VODKA ADOUCIT LES MŒURS
 
Nous continuons nos tournées par un kolkhoze des environs : Octobre rouge ! Réception habituelle, tour traditionnel nous serrons des mains, sourions aux filles, embrassons les bébés, subissons les discours, posons des questions, parcourons la ferme, caressons les veaux, taquinons les cochons, enfourchons les chevaux, admirons les moissonneuses, cherchons à discuter.
 
Puis, douce surprise ! En fin de visite, au sommet d'une colline, nous attendent des tables abondamment garnies. Que de bouteilles alignées ! Les premiers coups de dents sur les brochettes de mouton, les poulets, œufs et concombres s'arrosent au jus de fruit. Mais les Russes n'ont pas des gueules à boire de l'eau minérale. Ils attaquent le sérieux. Dans tous les verres, la vodka coule à flots, avalée d'un trait à la cosaque. Et l'on porte des tas de toasts. A l'amitié sino-russe ; américano-russe ; puis, bulgaro-germano-hongro-belgo-polono-suisso-norvégo-indo-italo-colombo-soudano-soviétique. Ça en fait des verres ! Sans compter la paix entre tous les peuples et les toasts privés célébrés en douce dans les coins.
 
Cet alcool de blé a des effets ultra-rapides. Voilà notre grande famille, excitée, déchaînée. On circule entre les tables, on trinque encore. Ivanof, le forgeron ukrainien, une de ces armoires ! m'écrase à pleins bras sur son immense poitrine, me mordille l'oreille, m'embrasse, en geignant : «Myr-Droujba, Tovaritch Guéorgui !» La vodka est aussi un langage adoucissant les mœurs ! Un Allemand de la campagne de Russie confie ses luttes et souffrances passées à un ex-partisan soviétique. En pleurs, avec des gestes pathétiques, l'anarchiste italien Virgilio raconte toute sa vie à Li, le marxiste chinois. Deux Ukrainiens boivent, puis s'embrassent sur la bouche.
 
Le Colombien, perché sur une table, impose une sérénade que personne n'écoute. L'Américain et un Russe se parlent sans se comprendre ; mais ils se sourient, s'envoient de ces claques dans le dos avec des : Da, Da ! Yes, yes ! Karacho ! Good ! Nos filles moscovites, pas folles, sont restées au champagne russe, rouge bien entendu. Seulement gaies, elles apprennent des danses aux Anglais ayant perdu toute timidité. Un Belge, ingurgitant une dernière rasade s'écroule le premier sous la table. Par grappes, titubant, riant comme des fous, emportant nos cadavres et nos malades, on dévale la colline sous l'œil complice des kolkhoziens heureux d'avoir saoulé leurs invités.
 
Au retour, 30 kilomètres de cahots, sur des routes genre montagnes russes, font pâlir bien des visages. Poulets, sprats et vodka ressortent par les fenêtres. Des inconscients sombrent dans un sommeil de plomb, des conscients, cherchant leur souffle, jurent un peu tard qu'on ne les y reprendra plus. Comme des paquets de linge sale, certains ont été traînés au lit. Trois jours après, un Anglais ne s'en était pas encore relevé. Les Russes étaient les plus désolés. Ils n'arrivaient plus à nous faire boire. Même les communistes français refusaient de trinquer à l'amitié franco-soviétique. Persuasion, moqueries, rien n'y faisait. De mémoire de Russe, on n'avait vu ça. Porter des toasts à l'eau minérale, garder les verres pleins, les glisser sous les tables... Peuh ! On n'était pas des hommes ! La leçon avait porté.
 
Nos cinq amies interprètes, étudiantes à Moscou, partageaient nos travaux. Mais il ne s'agissait pas de s'attendrir, de leur poser la main sur l'épaule, disons, par amitié. Elles formaient un petit groupe de forteresses rouges, d'autant moins abordables que nous ne savions comment interpréter les attitudes, regards et sourires d'une komsomole. Sous l'influence des Occidentales, elles soignaient la présentation : cheveux mieux arrangés, maquillage, chaussettes et souliers allant avec les robes.
 
J'étais attiré par la vitalité, la personnalité, la douceur, et la flamme dans les yeux de Sonia. Ce fut très long avant d'obtenir une réponse. Au lieu de voir en nous seulement un homme et une femme, elle mélangeait tout politique, sentiments, patrie. Elle me sortait : Moi, militante communiste soviétique, être au bras d'un représentant de l'Ouest en décadence, tu dois être fier !» Son amour-propre, son patriotisme en souffrait. Pourtant nous avions de vraies conversations où l'on parle à cœur ouvert.
 
Quant à nos Occidentales, elles ignoraient superbement les petits Français depuis qu'on était en U.R.S.S. Elles n'avaient d'yeux que pour les statues soviétiques, pourtant difficiles à dégeler. Sacha, l'Hercule que s'est approprié I' «activiste» Madeleine, est un paquet de muscles, à conversation très limitée : sports, repas, cigarettes. Mais tel qu'il est, il lui plaît. «Et, prévient-elle les autres demoiselles, ne lui faites pas les yeux doux : c'est mon Sacha ! Si vous en approchez, je mords. Pauvre Sacha, prisonnier, mais trop vertueux, il veut ignorer les douceurs du flirt !
 
Avec les filles, les Russes étaient très copains, d'une camaraderie de sportifs ; mais aussi très réservés, presque pudiques dans les relations «tendres», avec une «politesse vieille Russie» : ils les aidaient à mettre leurs manteaux, portaient leurs valises et leur sac à main.
 
QUE LÉNINE GARDE LEUR MÈRE PATRIE
 
Journées de visite à Karkhov. D'abord la grande usine de tracteurs : bâtie sur des champs. Un Lénine et un Khrouchtchev trônent dans le bureau du directeur qui nous fait un très bon exposé et répond d'une manière étonnamment franche et directe à toutes nos questions. Les ateliers sortirent leur premier tracteur en 1931. Ils en produisent quotidiennement maintenant 80 de 54 chevaux et 70 petits, avec 30 000 ouvriers, 3 000 ingénieurs, 600 employés ; 50 % du personnel sont des jeunes de moins de vingt-six ans et 25 % des femmes. Le salaire moyen mensuel est de 800 roubles, les plus élevés sont de 1 500 et celui du directeur de 4 000. Ils exportent beaucoup de leurs machines vers les démocraties populaires, la Grèce, la Finlande, l'Égypte, l'Inde. Ils forment des techniciens chinois pour les usines qu'ils sont en train de bâtir dans ce pays.
 
Au luxueux aérium sont soignés les enfants malades des ouvriers de l'usine. Petite surprise dans les paroles d'une chanson au cours d'un gentil programme présenté par des bambins de trois à sept ans ! «On vit bien dans notre pays, aucun n'est aussi beau que notre terre soviétique et, pour notre mère patrie, nous jurons d'être aussi bons que Lénine, le plus grand homme au monde.
 
Nous retrouvons la taille au-dessus dans un camp de pionniers foulards rouges, chemises ou corsages blancs, pantalons ou jupes bleus. Les gosses en carré, chaque chef de section vient faire son rapport au jeune commandant. A grands coups de clairons, de tambours, de saluts et drapeaux, ils terminent en répétant solennellement la promesse du pionnier : «Aimer ardemment ma patrie soviétique ; étudier, lutter selon les principes du grand Lénine et du parti communiste.»
 
Arrêt devant le monument élevé aux héros de Karkhov, morts pour la Russie des Soviets, gardé sous tous les temps, qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente, par des komsomols, gars et filles, figés dans une garde d'honneur, et se relayant nuit et jour auprès de la flamme symbolique.
 
Nous continuons par le grand hôpital où les malades ne sont plus qu'à 8 par salle. C'est propre, mais pas net ; 75 % des docteurs et 60 % des chirurgiens sont des femmes. Plus d'aumôniers, les blouses blanches assument ce rôle, rassurant le mourant, lui cachant son état.
 
Les larges avenues sont peu encombrées par un trafic surtout composé de camions ; l'un sert même de corbillard, toute une famille y est assise autour de son mort, couché sur une civière, visage découvert. Dans les rues, beaucoup d'officiers, bien bâtis, uniformes voyants, chamarrés de décorations. Un grand restaurant, style 1900, tentures rouges, dorures, orchestre, nous sert lentement des soupes de poulet et des escalopes panées accompagnées de légumes, cornichons, tiges d'oignons et prunes au sirop arrosées de thé.
 
Le soir, pèlerinage au parc de la Culture, une extraordinaire réalisation. Parmi la verdure on trouve de tout : concert, théâtre, cinéma, cirque, foire, bals, salles de lecture, clubs d'échecs, expositions artistiques, restaurants et même le tableau d'honneur sur fond rouge des stakhanovistes de la ville.
 
Dans le bâtiment, ça barde ; même de nuit des gars travaillent aux projecteurs, les convois de camions ravitaillent les chantiers. Mais les nouvelles constructions, certaines en béton préfabriqué, n'ont pas le fini dans le travail, l'aménagement de leurs soeurs occidentales.
 
Départ en luxueux wagons-couchettes tapissés de bleu ciel, tous les chromes reluisants. Et moi, l'auto-stoppeur professionnel, suis servi par deux garçons à veste blanche et casquette, un comble !
 
LA BOUE, EST-CE PITTORESQUE ?
 
Il n'est pas question de généraliser à propos de 60 000 000 de jeunes soviétiques en partant des quelques milliers de gars entrevus et des quelques semaines de vie commune avec une poignée sélectionnée de militants. Je voudrais seulement comparer leur «nouvelle élite» créée dans le moule socialiste et notre «nouvelle vague» évoluée un peu toute seule dans les pays de l'Ouest. D'abord, ils étaient surpris de notre peu d'intérêt pour les sports qui tiennent une place si importante dans leur vie. Ils auraient voulu nous entraîner dans toutes sortes de compétitions internationales.
 
Déjà dans un camp bulgare, parmi les 120 Français, nous n'avions pas été fichus de mettre sur pied une équipe de foot, même pas de basket, tout juste de volley parce que les règles sont fort simples. Écrasés par toutes les équipes de l'Est, nous n'avions pas été lanterne rouge grâce aux Anglais qui n'y avaient jamais joué. A Belgorod tous les gars de l'Est, Russes en tête, excellaient dans les sports. Ils étaient plus dynamiques, plus virils que nous, on sentait en eux, une vitalité, une souplesse presque féline, le côté physique de l'homme développé au maximum.
 
Question boulot, malgré discours et slogans sur l'importance du travail et du prolétaire, ils ne travaillaient pas plus dur que nous. Ils avaient la force physique, mais nous étions plus débrouillards et pour certains, plus adroits de nos mains. Ils étaient par contre beaucoup plus disciplinés que nous, il suffisait que leur camarade-chef lance un ordre, et ils l'exécutaient sans discussion. Dans notre groupe, le responsable devait d'abord expliquer le pourquoi, convaincre le gars de la nécessité de la tache demandée avant de le voir agir.
 
Dans la tente-réfectoire et partout où nous le pouvions, continuellement nous provoquions les discussions avec les Russes. Nous étions plus ouverts, plus prêts à reconsidérer nos idées et surtout beaucoup plus intéressés par leur pays, leur régime, qu'eux par le nôtre. Alors que dans notre équipe, chacun avait des conceptions différentes du voisin, leur groupe faisait bloc, leurs opinions politiques variaient à peine. Elles étaient claires, simples, formant un tout logique. Ils nous posaient peu de questions, convaincus d'avoir raison. Évidemment pourquoi discuter avec des gens dans l'erreur ? Nos arguments butaient contre un mur.
 
Par exemple Li, communiste chinois, cas extrême je l'admets, demandait à l'un de nous :
-De quel parti es-tu ?
-D'aucun. (Surprise, attitude compatissante devant cet indécis «sans-parti».)
-Mais tu es communiste !
-Non.
-Alors tu es capitaliste ? (Méfiance.)
-Non plus, entre les deux.
-(Étonnement.) Mais ça n'existe pas ! On est l'un ou l'autre, et si tu n'es pas avec nous, tu es contre nous !
 
Fier de la logique de son argument, il s'embarquait dans toute une tirade, un jargon de citations marxistes apprises par cœur, où revenaient comme dans un chapelet : éléments bourgeois, dictature du prolétariat, programme du Parti, marche vers le socialisme, etc. On n'avait plus l'impression de discuter avec un homme, mais avec une machine, chaque question posée déclenchait l'appareil automatique qui donnait la fiche correspondante et vous répondait comme un disque.
 
D'autre part, le Parti a toujours raison, la Pravda ne dit que la vérité et si leur presse racontait qu'en France nous étions menés à coups de triques, que nous avions le fascisme, 1 million 500 000 chômeurs, et que nous soutenions le contraire, au moins pour les chômeurs, ils nous regardaient incrédules. La Pravda ne peut se tromper. Alors, était-ce nous qui mentions ? Ce qu'ils auraient voulu nous entendre dire comme le font en général les communistes étrangers visitant l'U.R.S.S., c'est que chez nous tout allait de mal en pis, que nous arrivions à l'ultime crise de ce capitalisme moribond, mais que par contre dans leur système, tout était parfait, sans critique, digne de notre plus béate admiration.
 
Certains Soviétiques ont fait toute une histoire, cherchant à provoquer une séance d'auto-critique, parce que l'un d'entre nous avait photographié, nu-pieds dans la boue, une fillette qui voulait avoir son portrait.
Pourquoi ne pas avoir pris aussi celle d'à côté qui avait des chaussures ? La boue, est-ce pittoresque ? Voulions-nous prouver à notre retour que toutes les petites Soviétiques marchaient sans souliers ?
Là-dessus, petit sermon : «Vous êtes libres de parler à qui vous voulez, d'aller où bon vous semble, de prendre toutes les photos qui vous font envie, mais ne prenez pas que ce qui est négatif.»
Le lendemain un Russe photographie, avec notre permission, un Anglais endormi sur son lit. Dans son sommeil, il avait ramené ses pieds chaussés sur sa couverture ! «Quel manque de culture et de respect pour la propriété collective !»
 
A côté de ces petites escarmouches, notre groupe formait une famille internationale, bien soudée par le travail et la vie en commun. Au début, devant nous adapter, nous avons été dépassés par la personnalité et l'influence des Russes, puis, reprenant du poil de la bête, nous avons fait de ce chantier un réel camp Est-Ouest.
 
Ils adoraient chanter, nos copains soviétiques ; partout, autour des accordéons, ils lançaient leurs joyeuses et dynamiques chansons, pleines de vitalité, d'optimisme. Et d'autres, nostalgiques, qu'ils pleuraient des larmes dans leurs voix basses, profondes. Ils ne poussaient pas seulement des notes, ils vivaient, mimaient, ressentaient profondément les paroles.
 
Communistes, mais Russes avant tout, ils étaient beaucoup plus patriotes que nous. La défense de leur pays n'était pas en contradiction avec leurs idées de pacifisme puisqu'ils pensaient défendre les avantages et conquêtes dont jouissent tous les Soviétiques. Et ils étaient la preuve vivante d'une réelle promotion collective réalisée à partir du peuple russe. Rencontrés dans la rue, il aurait été difficile d'identifier nos amis comme ingénieurs, professeurs. Ils n'avaient pas la tête de l'emploi. On reconnaissait dans leur allure, leurs traits, toute leur hérédité paysanne et ouvrière.
 
Si l'on compare leur vie à celle de leurs grands-pères serfs, on comprend qu'ils ne peuvent qu'être pour le système. Jamais, ils n'auraient eu auparavant cette éducation, cette position sociale. Nés dans ce régime, héritiers de l'atavisme de soumission au Tzar, ignorant tant de choses du monde extérieur, soumis à l'influence continuelle de la propagande, ils n'ont pas de base de comparaison. L'homme s'adaptant à tout, ils se sont installés, acceptant certaines restrictions comme inévitables, se taillant une existence viable dans les limites de leurs possibilités.
 
Ils ne peuvent qu'être fiers des extraordinaires progrès accomplis en deux générations par leur pays. Ils ont ce sentiment exaltant de faire partie d'un immense monde en marche, en progression constante, donnant un sens à leur vie. «Ah ! si vous ne nous déclarez pas la guerre avant, vous verrez de quelles réalisations nous sommes capables !» disent-ils continuellement.
 
Et nous ? Nous n'avons été ni épiés, ni fouillés, nous parlions à qui nous voulions et les gens n'hésitaient pas à nous répondre. Seulement, à part quelques conversations, il nous a été difficile d'établir ces relations d'homme à homme où l'on parle franchement de n'importe quel sujet. Autant de personnes, autant d'opinions. II est déjà difficile dans un pays où tout le monde s'exprime librement de se former une idée objective. La chose est encore plus délicate dans ce si grand pays où les gens hésitent à se confier à des étrangers, en général communistes. Il faudrait rester longtemps, recueillir de nombreux témoignages dans diverses régions et dans toutes les classes de la société avant de pouvoir généraliser. Si bien que nous avons l'impression de n'avoir entendu que la réponse officielle, en un mot de n'avoir vu que l'endroit de la médaille.
 
Pourtant, avec les copains du camp, nous nous sommes séparés tristement, «à la russe». Poitrine contre poitrine, dans des étreintes à nous broyer les côtes, nous embrassant les larmes aux yeux. Nous souvenant des millions de fusillés, torturés, tués de tous pays qui sont morts pour que nous puissions vivre aujourd'hui libres, pour qu'ils ne soient pas tombés en vain, vis-à-vis d'eux et des générations futures nous avons ressenti notre lourde responsabilité ; l'enjeu est trop grave, il nous faut sauver la paix. C'est pourquoi nous retournerons en Russie, nous inviterons des Soviétiques chez nous. Ce camp malgré ses limitations aura été un effort parmi des milliers d'autres, une petite pierre ajoutée au mur que partout les hommes conscients essaient de dresser contre la guerre et le suicide de l'humanité.

fin de la première partie